Blue Jasmine : un atterrissage

Cela faisait plus de deux ans que je n’avais assisté à une séance de cinéma. Je ne sais quelle miraculeuse idée m’a menée à aller voir Blue Jasmine.

Quant à Woody Allen, j’avais carrément rompu avec lui. En regardant sa filmographie, je dois reconnaître que je n’avais vu aucun film de lui depuis 1992 avec “Ombres et Brouillard”. De ce film, il ne me reste que des souvenirs embrumés, une atmosphère en noir et blanc. Les années 90 n’ont pas été fastes à mes yeux pour le réalisateur. Lassée par ses films mièvres et superficiels, je l’ai mis de côté en jetant l’éponge.

Pour moi, les vrais films de Woody Allen sont ceux de mon adolescence puis de ma vie étudiante … Si je devais élire trois films Allenniens, élaborer un triptyque, je citerais :

  • “Annie Hall”, qui m’a fait rêver de New York et dont j’admirais la liberté des personnages. Ces couples se font, et défont, au fil de scènes cocasses, très amusantes et de moments de déprime kafkaienne.
Diane Keaton et Woody Allen dans Annie Hall

Diane Keaton et Woody Allen dans Annie Hall

  • “Manhattan” dont je garde un souvenir mélancolique empreint de douceur, grâce au jeu émouvant de Mariel Hemingway qui se résigne à quitter son amoureux pour partir à Paris. Mais je me souviens aussi de l’introduction du film sur le panorama du skyline de New York la nuit, avec la musique de Gershwin.
Mariel Hemingway amoureuse de Woody Allen dans Manhattan

Mariel Hemingway amoureuse de Woody Allen dans Manhattan

  • La rose pourpre du Caire, ce film où Mia Farrow traverse l’écran et va de l’autre côté de la toile blanche, pour rejoindre un monde imaginaire, rêvé, celui où tout est possible : le monde du Cinéma !
Purple rose of Cairo- Mia Farrow

Purple rose of Cairo- Mia Farrow

Le désir d’aller voir un Woody Allen avait fané, s’était étiolé. Ce que j’aimais chez Woody Allen, c’était sa capacité à susciter le rêve, le voyage, à me transporter

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Avec Blue Jasmine, Woody Allen nous raconte non pas un rêve mais un atterrissage …. et d’ailleurs, d’emblée, Cate Blanchett, atterrit à l’aéroport de San Francisco. Woody Allen plante le décor.

Le jeu de l’actrice est fort, poignant. Son regard vide, hagard, lorsqu’elle déambule ou parle toute seule, retranscrit le désarroi, le vide, la folie de la descente aux enfers qu’elle vit. Le spectateur la voit, au travers de flashbacks, évoluer dans sa vie antérieure, au sein d’un microcosme new yorkais où la démesure de l’argent est telle, qu’il est difficile d’avoir une vie équilibrée. Elle ne se pose pas trop de questions sur l’argent qui coule à flots … L’ombre de Madoff est prégnante, en particulier dans le rôle joué par son époux. C’est davantage l’oisiveté, la jalousie, les tromperies de son mari, qui vont amener doucement le spleen, l’alcool, le Lexomil, puis l’ électrochoc (au sens propre comme au sens figuré). Le seul acte courageux de Jasmine n’est-il pas d’avoir dénoncé son mari au FBI ? Cela va-t-il suffir pour la sauver ?

Comment vivre une telle descente aux enfers, une humiliation à ce point forte ? Comment accepter une déchéance totale, impitoyable ? Est-il possible de se remettre d’une telle dépression, de trouver un chemin vers la résilience ou bien la folie est-elle irrémédiable ?

Blue Jasmine - Jasmine and Ginger (Sally Hawkins)

Blue Jasmine – Jasmine et son sac Hermés qui ne la quitte pas and Ginger (Sally Hawkins)

Il n’y aura que la demi-soeur Jasmine, “Ginger” pour l’aider, lui porter assistance, lui prêter un bout de son toit. “Ginger” est jouée par l’actrice épatante “Sally Hawkins”. Elle apporte à ce film un peu d’oxygène, de légèreté, de joie de vivre, de sincérité, de gratuité. Elle est un personnage désintéressé. Sally Hawkins s’était déjà illustrée dans Be happy (Happy-Go-Lucky), le film de Mike Leigh, où elle jouait le rôle de Poppy !

Jasmine survit, vit embrumée par l’alcool et les tranquillisants. Elle n’arrive pas à accepter la réalité, la honte, l’humiliation que lui a infligé son imposteur de mari. Son grand sac Hermes ne va pas la quitter de tout le film et semble être attaché, rivé à sa personne, souvenir de son statut social passé, trépassé.

bluejasmine

Cate Blanchett – Blue Jasmine – 2013

Le spectateur réalisera qu’elle est définitivement perdue, lorsqu’elle tombera dans le mensonge, ou le déni et ne saura dire la vérité sur son passé à l’homme qui vient de tomber amoureux d’elle.

Les dernières images du film la montrent errant pour l’éternité, comme le Hollandais Volant, dans le vide, le néant, la folie.

D’un point de vue de la mise en scène, Woody Allen force un peu le trait et les flashbacks sont amenés un peu abruptement. Mais, les deux actrices font le film, servent à merveille Woody Allen qui s’essaye à un exercice de gravité avec bonheur.

Roy Lichtenstein au Centre Pompidou – Beaubourg

Pour vous préparer à la visite de l’exposition qui se tient à Beaubourg :
du 3 juillet 2013 au 4 novembre 2013, de 11h00 à 21h00

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“We Rose Up Slowly…

As if we didn’t belong to the outside world any longer…

like swimmers in a shadowy dream…

who didn’t need to breathe…”

J’aime beaucoup la peinture de Roy Lichtenstein. Avant de lui consacrer un texte plus global, qui parcourrait son oeuvre, je souhaitais faire un zoom, sur un de ses tableaux.

C’est un tableau, que j’avais rangé soigneusement dans un coin de mes pensées, avant de réaliser, par accident, ce matin, en voyant poindre des boutons rouges sur ma peau, que ce tableau irait parfaitement dans mon espace d’écriture, au coeur de “Swimming in The Space”, qui, finalement, aurait pu tout aussi bien s’appeler : “Swimming in a Dream”.

Ce tableau peint en 1964, se situe au Musée d’Art moderne de Frankfurt.

Ce tableau m’aura fait rêver, m’aura transportée, grâce je crois à cette association unique de ce texte fluide comme la pensée, comme un rêve, une avalanche de bonheurs, et l’image de ces deux êtres en extase.

Il est tout à fait représentatif et classique de la période la plus “romance” et “comic strip” de R.Lichtenstein, avec toute la thématique qu’elle porte :

– la femme telle une icône aux cheveux blonds (celle ci ne pleure pas),

– l’homme,  une icône lui aussi,

– le thème du baiser, du désir,  si présent dans les peintures de ce cycle,

– la présence du texte associé à l’image, comme dans une bande dessinée,

– ce mouvement, cette force tourbillonnante, comme si les deux amants aux yeux fermés, aux corps dénudés, étaient en train de se renverser, vivaient un rêve.

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J’ai inclus ci dessous, un zoom de ce tableau qui montre parfaitement les “dots”, tous ces points rouges qui forment le visage de la femme mais aussi, celui de l’homme.

Zoom du tableau : “we rose up slowly…”

Roy Lichtenstein :

“[The kind of girls I painted were] really made up of black lines and red dots. I see it that abstractly, that it’s very hard to fall for one of these creatures, to me, because they’re not really reality to me. However, that doesn’t mean that I don’t have a clichéd ideal, a fantasy ideal, of a woman that I would be interested in. But I think I have in mind what they should look like for other people.”

Dans cette peinture, R.Lichtenstein se focalise sur ces points rouges. Ces points rouges qui forment, de loin, la peau de cette femme. Ce zoom montre le caractère très précis, de sa peinture faite de “dots”, de traits noirs, de couleurs flamboyantes.

Une vidéo : http://www.charlierose.com/view/interview/2743 montre l’artiste réaliser ce genre de tableau, avec une méticulosité impressionnante.

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Enfin, je voulais avoir une pensée, pour Léo Castelli, qui m’a reçue plusieurs après-midi, dans sa galerie de West Broadway, lors de mon année passée à New York en 86-87. Je me souviens parfaitement de ces moments privilégiés, passés en sa compagnie, où le temps ne comptait pas, tant il était heureux de me faire découvrir dans sa réserve les tableaux qu’il appréciait tout spécialement et de me parler de ses artistes, dont Roy Lichtenstein a fait partie.