Librairies parisiennes : Galignani

Je sortais bredouille de la Librairie Delamain. Il était temps d’aller visiter le SPA du Saint James Albany. Après avoir repéré les lieux, qui me promettaient un dimanche sportif, j’ai flâné, rue de Rivoli. Je regardais le ciel s’obscurcir, la nuit marcher lentement.

Je ne mis pas longtemps à atteindre la librairie Galignani, première librairie anglaise à s’installer sur le continent. Ma mère me vantait la richesse de ce lieu : livres classiques en anglais, en français, “beaux livres”. Elle s’y rendait presqu’aussi souvent que chez WH Smith, lorsqu’elle travaillait à l’ambassade américaine.

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J’ai trouvé immédiatement le livre que je cherchais sur le premier rayon des livres récemment publiés : Kamal Jann de Dominique Eddé.

J’hésitais à l’acheter et me suis rendue au fond du magasin m’asseoir dans un fauteuil club pour le parcourir. Le parquet craquait sous mes chaussures. Confortablement installée, j’ai tourné la couverture et ai commencé un étrange voyage.

Je me suis sentie mal à l’aise en abordant les premières scènes de torture. J’avais ressentie cette même impression, à l’été 2010, en arrivant à l’aéroport de Damas. Plus tard, à Alep,  je voyais bien la crainte de la population quand la police approchait. Les cafés internet étaient sous la coupe du régime : rentrer en contact avec l’extérieur était vraiment difficile. J’étais passée à Homs. A Hama, j’avais eu une pensée pour les massacrés de 1982. Mais j’avoue que je n’imaginais pas les tortures relatées par D.Eddé, ou bien celles décrites dans les journaux actuellement. Des milliers d’hommes, femmes, enfants sont tués et personne ne bouge. Quelques voix montent, mais rien de concret n’est fait pour se débarrasser de cette dictature.

En 2010, lors de mon voyage en Syrie, j’étais dans ma bulle, dans ma tour d’ivoire. J’avais alors réussi à faire abstraction de la dictature. J’inventais mon voyage, je rêvais.

Qu’était devenu mon chauffeur Abdou et tous ces gens accueillants que j’avais croisés ?

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Damas, Paris, New York, Beyrouth : un quartet qui me comblait. Quatre villes que j’avais reliées pour dessiner un chemin improbable, qui relevait de l’esthétique, de la poésie.

J’ai noté des coïncidences qui me touchaient dans ce livre. C’était, comme si D.Eddé avait lu mes pages de voyages. Je retrouvais à travers les lignes du livre, l’odeur des souks de Damas, le krak des chevaliers. Je revoyais, Beyrouth, les abords de la grande roue, non loin de la falaise de Raouché. J’arpentais les rues d’Achrafieh, les alentours du musée de Beyrouth…

A New York, Kamal habite Spring Street, comme moi. A Paris, Wafa demeure quai Voltaire, non loin de ma rue des Saint Pères.

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J’étais plongée dans ce livre, lorsque l’employé est venu me faire signe. La librairie fermait. Je reposais le livre de Dominique Eddé. Sur la table en face, je remarquais un livre rouge chine : “Proust et les Signes” de Gilles Deleuze. Voilà le livre qu’il me fallait.

Sur le chemin du retour, les images de mon loft à Soho défilaient dans ma tête, j’imaginais Kamal Jann, avec ses yeux envoûtants, y évoluer. Je rêvais et avais dépassé le Crillon, lorsque le téléphone me réveilla.  Nos voisins de palier, Michel et Michèle, les “M et Ms”, comme les appelent les enfants, nous conviaient à partager des fruits de mer, tout juste ramenés de Bretagne : Homard, Coquilles Saint Jacques et bouquets de crevettes. La bonne humeur, simplicité et gentillesse ont régné toute la soirée du côté de chez Swann.

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Bleu Piscine : Hôtel Saint James Albany, Paris

N’est-ce-pas merveilleux de sortir de chez le médecin avec une prescription, non pas de médicament, mais de natation ? En quittant l’immeuble cossu de l’avenue Paul Doumer, je relis doucement l’ordonnance : “Natation sur le dos, quarante cinq minutes, trois fois par semaine.”

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Après avoir plié l’ordonnance dans la poche de ma veste, je traverse à la hâte l’avenue, pour rejoindre la station Vélib, non loin. Le froid est tel que j’ai du mal à décrocher le vélo, à mouvoir mes mains. La bise souffle. Je pédale avec fougue tout le long du parcours : Trocadéro, avenue du Président Wilson, avenue Montaigne, Matignon, rue du Faubourg Saint Honoré pour prendre la rue d’Anjou. Je passe devant le 1728, pour rejoindre  la station en face chez moi. J’étais concentrée, lors de ce trajet nocturne, sur la circulation :  les voitures font des queues de poissons, déboitent, les portes des automobiles stationnées s’ouvrent sans me voir arriver en trombe…

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C’est en attendant l’ascenseur, en dépliant à nouveau ce papier blanc, recouvert d’une seule ligne,  en lisant cette écriture fine et inclinée d’une couleur bleue nuit que l’inquiétude m’envahit ! Et oui, c’est bien joli de devoir nager, mais pour cela il me faut une piscine. Certes, je pourrais m’allonger sur le dos dans ma baignoire, mais est-ce de la natation ? Je revois alors Jean Bouise, dans le film “Le Grand Bleu” s’exercer à la plongée dans sa baignoire. Je tiens une ordonnance entre mes mains, pas un ticket de cinéma. Il me faut  une vraie piscine, et aussi me trouver le temps. Comment par ce froid, faire du vélo avec les cheveux trempés ? Je regarde sur internet, et trouve vite les trente huit piscines à Paris. Aucune ne se trouve près de chez moi.

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Et puis, c’est l’éclair. Et oui, je pense à Claudine, cette amie de classe préparatoire, que j’ai retrouvée après trente ans, par hasard, en achetant un samedi de décembre, des Macarons, chez Pierre Hermé. Nos retrouvailles ont été “naturelles”, comme si nous nous étions quittées au lycée Carnot, la veille, à la sortie du cours de Philosophie, de Sylviane Agacinski. Nous voyions de temps à autre, Jacques Derrida, son compagnon d’alors, venir la chercher à la fin des cours. J’avais même réussi à obtenir un autographe de lui. Il m’avait signé et apposé un gentil mot sur mon exemplaire de “la vérité en peinture”. “L’art” était le thème de cette année de prépa. Claudine n’avait pas changé, si ce n’est de nom, puisqu’elle est mariée. Elle habite à quelques encablures de chez moi, rue de l’Echelle. Perfect time, c’était l’heure du thé. Elle m’avait invitée à venir chez elle pour fêter ces retrouvailles. Son mari était en déplacement en Nouvelle Calédonie. Son fils avait intégré l’X l’année dernière et elle l’avait fiancé, lors d’une somptueuse réception à l’Hôtel Saint James et Albany, rue de Rivoli, l’été dernier.

– Le lieu est fabuleux, m’exclamai-je, en regardant les photos des fiançailles.

– Oui, cet hôtel a quelque chose de magique. Impossible de croire à une telle quiétude quand tu vois la façade rue de Rivoli, impossible de soupçonner ces jardins, ces cours intérieures, l’hôtel particulier du XVII ème siècle, impossible de penser à cette immense piscine qui se trouve au sous-sol. Elle n’a rien à envier à celle du Ritz.

Hôtel Saint James Albany – sur la gauche, hôtel du XVIIème, cour intérieure

Je voyais bien qu’elle trouvait son immense appartement un peu vide. Autour d’un café pour elle, d’un thé vert japonais pour moi, et de macarons, Claudine m’avait raconté les trente ans qui nous séparaient. J’avais fait de même, très rapidement. Claudine pensait que j’avais épousé Pierre, l’artiste peintre que je fréquentais alors. Elle ne pouvait imaginer le vide de ma vie.

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Les paroles de Claudine refaisaient surface et germa en moi, l’idée d’aller nager à l’hôtel St James. Je me souviens alors de la piscine fabuleuse du Park Hyatt à Tokyo. Située au 47ème étage, je l’avais eu pour moi seule, à chacun de mes séjours. En nageant sur le dos, j’admirais la voûte céleste et puis, allongée sur un transat, en prenant un thé, mes yeux se perdaient dans les couleurs bleues et vertes de la nuit tokyoïte. La ville s’étirait à perte de vue. En hiver, je pouvais clairement distinguer le mont FUJI.
Le désir de posséder la piscine du St James Albany monta en moi. Samedi, j’y fis un saut vers 17H30 : la visite de la piscine, la salle de repos, confortèrent le rêve qui se dessinait.

Piscine, Hôtel Saint James Albany,  202 rue de Rivoli, Paris, 75001

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Dimanche matin, j’ai franchi la discrète entrée de l’hôtel, rue du 29 Juillet. J’ai vite retrouvé mes repères et me suis présentée au SPA, pour accéder à la piscine.

L’endroit était désert. Seul, le bruit de l’eau rompait le silence. L’ombre règne autour de la piscine. Une atmosphère nocturne se dégage de l’espace, renforcée par le plafond bas suffisamment brillant pour refléter la clarté du bassin et les irisations venant des jets qui renouvellent l’eau.

Elle était d’une taille généreuse, pour une personne seule :15 mètres sur quatre. Un peu plus petite que celle du Park Hyatt de Tokyo.

 Je descends l’échelle et rentre doucement dans l’eau. La température est idéale, juste assez froide pour me donner envie de m’activer. J’avais l’impression d’être dans le film, Trois couleurs, Bleu, où Juliette Binoche a la Piscine de Pontoise pour elle seule, la nuit.

Je faisais mes longueurs, avec application, n’oubliant pas l’ordonnance du médecin. J’ai vite pris mes repères sur les murs, afin de ne pas cogner ma tête contre les deux bords. Une pendule m’indiquait l’heure. Au bout de trois quart d’heure, l’odeur du chlore commença à m’incommoder. Je me rappelai alors qu’on inspire dix fois plus d’air que la normale, lorsqu’on fait du sport. Malgré cela, je décidai de nager encore un quart d’heure.

J’imaginais évoluer dans le lac Vostok, cette étendue d’eau douce vierge, découverte il y a quelques jours, par les Russes en Antarctique.

Une piscine à 4000 mètres sous la calotte polaire, d’une superficie de la moitié de la Suisse ! Je commençais à délirer et surtout à avoir froid, signe de fatigue.

A 12H45, j’ai rejoint la salle de repos, me suis réchauffée avec des abricots secs et du thé vert. J’étais assoiffée. Je me suis sentie, délassée. Je commençais à mesurer les bénéfices de ce massage aquatique et me suis assoupie sur un transat. J’étais reposée, relaxée. Mes traits et mes muscles étaient détendus. Je me suis réveillée une heure plus tard. Le vestiaire était propre et garni d’une multitude de petits accessoires. Et des draps de bains tout chauds n’attendaient que moi. Je repérais aussi ce séchoir à cheveux qui me permettrait d’éviter d’attraper froid, en retournant chez moi, à bicyclette.

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Clairement, il me serait impossible de venir nager le matin de bonne heure, tant l’eau, la natation me délassent. Mais y retourner le soir serait une excellente idée. La piscine ferme à 22 heures.

A 14H30, en quittant les lieux, le soleil avait disparu. Le ciel était envahi de nuages pommelés. J’ai regagné mon domicile et suis littéralement tombée de sommeil pour me réveiller à plus de 18 heures : Quel divin massage !

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