Soulages : la lumière du noir

Le noir envahit l’espace de ses immenses toiles, ses polyptyques. La lumière magnifie son monde.

Les surfaces se divisent visuellement, selon l’intensité d’un panneau, la texture, l’épaisseur, les stries, le brossé des autres.

Les toiles noires de Soulages se déclinent en une infinité de variations, se différencient d’un petit pas, les unes des autres.

La particularité des tableaux de P.Soulages est dans la lumière du noir et les effets qu’elle procure.

Le spectateur entremêle, fait se chevaucher ces tableaux, en se promenant, directement entre les toiles suspendues dans l’espace du musée G.Pompidou. J’avais eu cette chance, ce privilège de voir cette exposition de 2009-2010, quasiment seule, en me perdant, de salle en salle.

Selon l’heure, la luminosité, la position du spectateur, chaque tableau se décline en des possibilités infinies de tableaux. Le visiteur, la lumière font littéralement partie du tableau.

Cette caractéristique, cette spécificité des tableaux de Pierre Soulages m’intéressent et me fascinent au plus haut point, car j’ai toujours considéré un tableau, comme une surface qui ne doit pas avoir de cadre et qui se prolonge naturellement en dehors de la toile.

Je regrettais l’étroitesse des pièces. J’aurais voulu pousser les murs, agrandir l’espace !

Car ses immenses toiles doivent se regarder de loin. Le visiteur doit pouvoir se déplacer tout autour, pour faire danser la lumière sur la toile.

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“La réalité d’une oeuvre, je l’ai dit souvent, c’est le triple rapport qui se crée entre la chose qu’elle est, celui qui l’a produite et celui qui la regarde, marquant bien le fait que la peinture ne transmet pas de sens mais qu’elle fait sens ; elle n’en communique pas – tout ce qui en elle se réduit à la communication n’est qu’un moyen remplaçable. Elle est avant toute une chose qu’on aime voir, qu’on aime fréquenter, origine et objet d’un dynamique de la sensibilité.”

Pierre Soulages

J’aime aussi sa peinture pour son économie de moyens : du noir, quelques autres rares couleurs : un peu de bleu, du brou de noix. Il utilise des pinceaux, des brosses, des couteaux ou râteaux pour créer ces effets de dents, stries, brossés….  Avec peu, la peinture de Soulages va à l’essentiel.

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Enfant, Pierre Soulages représentait les paysages de neige, en traçant des traits noir à l’encre sur une feuille blanche ;

C’est grâce au noir de l’encre, que la blancheur du papier lui apparaît, par contraste, aussi éblouissant que la neige !

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Lors d’un entretien avec P. Schneider, en 1963,  Soulages souligne, à propos du noir :

“Le noir est l’absence de couleur la plus intense, la plus violente, qui confère une présence intense et violente aux couleurs, même au blanc”.

“La présence du noir n’est fidèle que dans la mesure où la lumière l’installe dans l’absence”.

La peinture de Soulages me correspond, car elle est dépouillée, empreinte de recueillement ; elle est un voyage dans l’imaginaire, Par ses variations, elle est répétition et différence.

La lumière est magnifiée par le noir ou est-ce le noir qui est magnifié par la lumière ?

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L’outrenoir me fait rêver, élargit mon monde, en pleine expansion, lorsque je regarde les toiles de Soulages : Oui je suis dans un autre territoire, sur une strate bien particulière de mon imaginaire, dans un autre champ mental :

“Si j’ai inventé ce mot “outrenoir”, c’était pour montrer qu’il ne s’agissait pas seulement d’un phénomène optique de réflexion de la lumière.

Ce mot désigne ce qui se passe en nous quand on aime ce genre de travail, provoqué par la réflexion de la lumière sur des surfaces noires. Il ne revêt à mes yeux aucune nuance poétique.

Je l’ai cherché pour une signification très précise : à l’image d’outre-Rhin, d’outre-Manche, d’outre-Atlantique qui désignent d’autres pays, l’outrenoir désigne aussi un autre pays, un autre champ mental que celui atteint par le simple noir”.

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J’aime tout particulièrement, même si ce n’est pas un tableau, les vitraux de Conques. Dans cette abbaye Sainte-Foy de Conques, Soulages était le seul à pouvoir rendre cet endroit “lumière”, à ne pas dénaturer son charme roman, sa sobriété, à conserver intact le recueillement que dégage l’abbatiale.

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Soulages est un de mes peintres préférés. Il a contribué à me faire aimer le noir, qui est une couleur lumineuse !

Je suis en extase, dans un profond état de recueillement devant sa peinture, qui s’est simplifiée et aussi agrandie avec des surfaces incroyables, dignes de cathédrales.

Mais ce sont les toiles, plus intimistes, qui sont mes préférées : celles des années 50-70. Celles en particulier où Soulages joue avec le brou de noix et le noir.

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Jamais

J’ai aimé le “cogito amoureux” et ai médité sur ce texte de JP. Galibert, une philosophie ; http://jeanpaulgalibert.wordpress.com/

Chaque jour, ou presque, il nous délivre ses réflexions, vient susciter ma curiosité, me fait réagir, m’interroger, sur une variété étonnante de sujets, sérieux ou moins. Le texte sur le cogito amoureux est splendide, juste, pose les bonnes questions.

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J’ai apposé mon commentaire :

Bozorgmehr dit :

oui, très juste. impossible. 10 lettres et un caractère, ce point final. Le désir : cette fine ligne qui nous mène au pays où l’on n’arrive jamais

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JP Galibert a raison de détester le mot “jamais”. Mon état de désespoir est tel, que je ne peux associer au cogito amoureux que l’impossibilité.

J’ai perdu cet espoir d’y arriver. L’amour, est à mes yeux le pays où JE n’arriverai JAMAIS.

Tout le monde me secoue, m’encourage. Ma soeur me dit que “je suis épatante, unique, rare….”.

Mais il n’en demeure pas moins que, je n’existe plus, je ne suscite aucun intérêt, et même je fais naître, un mouvement de recul, qui ne s’apparenterait pas à un désintérêt complet, mais davantage à un rejet.

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Qu’est-ce que j’ai donc, pour que les hommes m’ignorent ou alors, m’évitent et partent en courant ?

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Bien sûr, le champ des possibles devrait laisser sa place entière à ce “on ne sait jamais”.

Mais mon cas est désespéré. Je vis trop sur l’arête, le bord ; j’ai trop vécu dans le désamour.

Je me situe sur la trajectoire de l’impossible, du cauchemar, de l’anéantissement, qui est vouée à ne jamais en croiser une autre, tant cette trajectoire erre aux confins de l’univers, dans l’obscurité, un monde désolé.

Si l’utopie demeure, elle est minimale, si ténue que je ne sais, si elle n’est pas en train de s’évanouir, disparaître à tout jamais.

Compte tenu de mes expériences passées, atteindre cet état amoureux, cette plénitude, ce sublime relèvent de l’inaccessible, de l’impossible. Je n’existe pas, plus, dans la clarté des yeux des hommes.

Je disparais littéralement devant eux, je m’enfonce dans l’inconsistant, l’inexistant, le néant. Aucun ne me remarque, ne vient prendre ma main.

A quoi bon espérer, attendre ? Je n’espère rien, n’attends rien.

Je n’ai plus envie de faire le moindre pas vers eux. Je ne les regarde plus, tant je ne veux plus vivre dans la douleur, le leurre, l’humiliation.

Ces amours passées m’ont fait croire qu’ils ressentaient quelque chose envers ma personne. Ce quelque chose était RIEN.

J’ai atteint le stade maximal de la douleur.

Charles Le Brun, La douleur aiguë, 17ème siècle, dessin, pierre noire sur papier blanc

Cette douleur ne peut plus s’accroître, sans que je ne me fasse du mal et que je stoppe ma vie, comme une couturière stopperait un fil.

Je n’ai jamais vécu, un seul moment de plénitude, de joie partagée, durant ces 47 années. Je suis inapte à la vie, au bonheur et suis condamnée au malheur, telle une alakaluf, une pestiférée, la vermine.

J’erre, en compagnie de la solitude, au travers de ces pages blanches que je remplis, en attendant la mort. Je l’aperçois au loin, venir à ma rencontre. C’est elle, et non un homme, qui viendra prendre ma main.

Les phrases, reprises de textes ou commentaires de J.P Galibert, sont citées, avec son aimable autorisation 

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