L’exposition Dogon au Musée du Quai Branly

Je me glisse derrière la grande paroi vitrée pour rejoindre le jardin du musée ; le calme détone par rapport à la circulation stridente du quai.

Le soleil est au plus haut.

En poussant la porte, en franchissant cette borne, j’ai l’impression d’avoir pris une navette qui me propulse hors du temps et de l’espace.

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J’atterris dans une immense salle sombre, telle une église, qui n’appelle qu’au recueillement et à la méditation.

J’avais très envie de découvrir l’art de ce peuple païen, vivant dans les alentours de Bandiagara, dans les falaises, les troglodytes.

Je commence à me promener au hasard des vitrines, où sont posées les statues. La beauté générale qui se dégage de cette salle ne peut que frapper le visiteur.

Mais, je suis aussi, très vite frappée, gênée, mal à l’aise car TOUT ce qui est exposé, toutes ces statues, ces objets, masques …. , tout ce que j’aurai regardé le long de cette exposition, appartient uniquement, à des collections particulières en Europe, aux Etats unis, ou viennent de fondations et des musées les plus prestigieux.

Pas une seule œuvre n’appartient à ce peuple Dogon (anciennement appelé peuple Habé : païen). Je réalise ma naïveté….

Les textes qui défilent expliquent l’importance des missions ethnologiques de la France, durant la 1ère moitié du XXème siècle.
La première, vraiment importante, sera celle menée par Marcel Griaule, de 1931 à 33, avec la participation de Michel Leiris, qui publiera ce carnet de route entre Dakar et Djibouti (L’Afrique fantôme, paru chez Gallimard en 34).

Marcel Griaule retournera plusieurs fois au pays des Dogons.

Je ne veux pas nier leur travail (15 000 fiches d’observations, 5000 clichés), que l’on retrouve dans des livres extrêmement techniques, sur le vocabulaire, la statuaire, les masques … une masse de travail colossale.
Ces livres sont clairement des références précieuses pour un public de chercheurs. Vendus à la sortie de l’exposition, ils sont publiés chez des éditeurs « confidentiels ».

Sous le prétexte d’une islamisation qui aurait mis en danger la culture de ce peuple, il semble que ces expéditions aient sauvé des trésors ! En effet, lors de la 1ère expédition, plus de 3 500 objets seront collectés, récoltés, pour les rapporter en France.

Mais enfin, ces ethnologues, bien implantés dans le milieu de l’art, les ont pillés, ou achetés pour une bouchée de pain, à bon compte, pour en revendre aux collectionneurs les plus fortunés, et pas seulement pour agrandir les collections de nos musées.

Voilà pour mon mécontentement.

Jamais ces œuvres ne retourneront dans leur pays d’origine.

L’histoire se répète sans cesse, de la même manière.

J’aurais voulu voir ces œuvres dans un musée local, non loin de ces falaises magiques, plutôt que de les admirer dans l’univers glacial du musée du quai Branly.

Je reste dubitative sur les bienfaits de ces missions.

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Néanmoins, comme pour chaque exposition que je visite, j’aime retenir un, voire deux objets pour nourrir, alimenter mon « musée imaginaire ».

J’élis :

– les statuettes de Tellem les plus anciennes (XIV au XVI ème siècle): elles penchent vers l’abstraction « pure », même si les formes d’un corps les bras levés se devinent, sont suggérées. Ce sont donc les plus abstraites, aux bras levés, en bois dur, à la patine croûteuse, que je préfère.

Leur simplicité « sophistiquée » me ravit. Cette abstraction qui penche au minimum, le moins possible vers la figuration, m’enchante.

– La pureté et la sobriété des lignes de ces deux cavaliers et de leurs chevaux de N’Duleri, datant des XVI ou XVII ème siècle : la patine est splendide. Tout cela leur confère une justesse sans égale.

– J’ai aimé les serrures en formes de femme, avec toute la symbolique qu’elles portent

– L’immense figure hermaphrodite datant du Xème siècle de Djennenké : plus de deux mètres de hauteur. Elle clôt l’exposition

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J’ai bien noté l’importance du travail du forgeron, beaucoup plus valorisé que celui des sculpteurs de bois. Le forgeron est presqu’un dieu !

Trop travaillés à mon goût, j’ai vite quitté leurs objets en métal, pour revenir à la statuaire.

J’aurais aimé voir davantage de peintures rupestres aux formes abstraites, minimalistes : des danseurs ocres.

J’ai été un peu déçue par la salle des masques. Par rapport à l’exposition, « Fleuve Congo », les masques sont clairement moins beaux, moins bien conservés.

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Pour voir des statues, masques, portes,…, dans leur environnement, n’hésitez pas à vous rendre sur le blog : 10 mois au Burkina

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The River (C.Sandison) – Musée du quai Branly

Visite au Musée du Quai Branly.

Une oeuvre d’art numérique installée sur la rampe d’accès aux collections et aux expositions temporaires, m’arrête, me stupéfait : “The River” de Charles Sandison. J’étais venue au musée au mois de Juillet. Il était impossible que je ne l’aie pas remarquée.

Pourtant elle était installée depuis mars 2010.

Par cette rampe, le visiteur accède aux différents “plateaux” des collections ;  tout le long de cette rampe, une rivière, un flux, un flot de mots viennent à contre courant. J’ai vraiment la sensation visuelle d’une rivière ; une rivière chargée de mots, avec des courants, court, coule, s’écoule tel le temps

Je me suis immergée dans le flot de ces mots en mouvement, qui sont projetés à des “rythmes et condensations variables”.

15 597 mots, noms de tous les peuples et sites géographiques des collections du musée viennent ainsi à la rencontre du flux des visiteurs.

En montant cette rampe, instinctivement, le visiteur tente de marcher sur ces mots, des mots blancs, noirs, ou rouges. Certains noms sont fixes, d’autres balayent le sol, et avancent, se déversent. Cette installation numérique m’a fait rêver, m’a plongée dans l’imaginaire de tous ces pays, ces sites.

“L’installation est animée par un logiciel combinant le langage et les cycles hydrologiques, mixant des techniques de simulation destinées à la création d’une vie artificielle et à l’illustration des lois de la physique.”

J’essaie de faire le lien entre certains de ces mots, qui reflètent la diversité de ce monde, se répètent, s’entrelacent, se distancent, se rapprochent. Quel lien faire entre eux ?

Cette rivière  de mots est en parfaite adéquation avec la philosophie du Musée qui tente de rapprocher, mettre en perspective les oeuvres de pays, de géographies, très éloignés les uns des autres.

Si les collections permanentes sont divisées en territoires géographiques différents, les frontières physiques au sein de musée sont moins tangibles. J’ai été transportée en l’espace de quelques minutes de la côte d’Ivoire à l’Australie ou l’Alaska.

Tous ces signes qui renfermeraient l’intégralité des mots de ce musée, tel un “thésaurus” courent, telle l’eau, en suivant le tracé de cette rampe, en s’adaptant à son terrain, sa géographie.

“Le langage fonctionne de la même façon, à la fois médium et message. Les idées s’écoulent comme les mots dans le temps et l’espace, se matérialisant momentanément en événements et en objets fugitivement imprégnés d’une signification particulière. Puis, à l’instar de l’eau, cette signification s’efface peu à peu pour revenir se fondre dans le fleuve de la vie et de la mort humaine. On peut ainsi observer l’histoire humaine non pas en y recherchant des signification particulières, mais en contemplant plutôt les canaux et les canyons inscrits à sa surface, gravés par le flot du langage.” (Charles Sansidon)

Les expositions temporaires peuvent aborder des thématiques avec un autre axe que celui de la géographie, ou de la chronologie. Ainsi “la Fabrique des images”, exposition extrêmement ambitieuse, tente de mettre en perspective des oeuvres selon un prisme se décomposant en : le totémisme, le naturalisme, l’animisme et l’analogisme.

J’aurais souhaité approfondir cette exposition, que j’ai trouvée à la fois très ambitieuse, et qui m’a laissée un peu sur ma faim. Mais l’ayant visitée à la fin, au terme de ma visite, j’ai conscience d’être passée trop vite. Il faudra donc y retourner et s’arrêter davantage car toute étude transversale, ou orthogonale, avec un prisme qui s’éloigne de celui pris habituellement mérite de prendre le temps, de s’y investir.

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