Déchiffrer Opalka : Détail

8h, le jour se lève du côté de chez Swann. Le ciel devient progressivement plus clair que les toits qui s’étalent à perte de vue. Le ciel vient mourir sur les vagues cheminées, comme la mer, sur la grève à morte-eau.

– Quand l’avez vous vu pour la dernière fois ?  La question de M.A. résonnait dans sa tête. Elle avait mis du temps à répondre … Oui, car en remontant le temps avec les jalons incontournables des anniversaires, ou des repas qu’ils partageaient de temps à autre, elle réalisait qu’elle ne l’avait pas vu depuis quasiment un an : Une éternité pour ces deux êtres, si proches auparavant.

La raison de cet éloignement, progressif, relevait d’un adjectif utilisé de manière inappropriée, et qu’elle avait reçu de lui, comme un coup de poignard.

Oui, l’adjectif “normal” l’avait mise à mort. La ligne rouge avait été franchie et le point de non retour dépassé. Cette normalité avait creusé un gouffre, avait scindé leurs vies en deux mondes étanches.  Il l’avait anéantie, exactement comme son père à elle, l’avait fait. Deux voiliers naviguaient à contre, désormais, sur l’océan de la vie.

Avec ce “normal”, ce détail, sorti de la bouche de ce proche, elle avait compris, réalisé, qu’elle n’existait pas à ses yeux et qu’elle n’avait sans doute jamais compté pour lui. Compter ! Elle pensa alors aux peintures “détail” de Roman Opalka.

Opalka-1965

Roman Opalka, a peint de 1965 à sa mort en 2011, en blanc sur fond noir, des nombres qui se suivaient. En 1972, le nombre 1 000 000 est atteint. Il fait alors évoluer sa peinture en éclaircissant le fond de chaque nouvelle toile. Ainsi, ajoute-t-il 1% de blanc au noir de chaque nouveau fond.

Opalka - Detail

Opalka – Detail

Le fond devenu blanc “zinc” a fini par se fondre avec la suite de nombres couleur blanc titane. La lecture, l’échange étaient encore possibles, de manière infime, en regardant les toiles sous un certain angle. Voilà ce qu’étaient devenus les liens de ces deux proches au fil du temps.

Opalka - Octogone de Détails - 2006

Opalka – Octogone de Détails – 2006

Ainsi déshéritée, sa contribution auprès de ceux et pour ceux qui n’ont rien et souffrent, rétrospectivement, faisait sens.

Elle comprenait mieux, alors la maladresse de ses mots à elle, dans le courrier adressé à M.. Cette lettre, ne pouvait aboutir qu’à un silence, qu’à un blanc comme celui des peintures de Roman Opalka. Cette lettre était un aller simple sans retour possible.