Liban – Passage au Livre

Le site de Baalbek et ses ruines s’imposaient à mes yeux comme le lieu idéal et choisi, pour passer à ce livre ; lire un livre, là même où il a été pensé, écrit.

Le voyage était à tracer, à inventer, en me perdant dans l’espace et en ralentissant le temps.

Ce fut le voyage aux origines de l’écriture :

  • Des tablettes à la table
  • De la presse au livre
  • Des blocs au bloc

Je lis à ma manière le lieu original, le Palmyra déserté, les couloirs du service, le champ de ruines.

Les six colonnes du temple de Jupiter sont bien là et depuis la terrasse, je n’en vois que cinq, puisque le peuplier masque la sixième à droite.

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Temple de Jupiter – 30 août 2010 – Baalbek, Liban – Photo Carole DARCHY – Reproduction interdite

Tout est en place, tout est en ordre. Le moment est venu, pour que dans la solitude qui m’accompagne, j’entame un nouveau voyage, je tourne enfin la couverture du livre et entre dans la matière.

*****

Je n’avais pas cherché à imaginer le Palmyra, la chambre 30 ; je les ai découverts et “habités”.

Instinctivement, j’ai baissé la voix lorsque j’ai poussé la porte du Palmyra, exactement comme lorsque je rentre dans une église vide ou contemple un tableau, un paysage qui me fascinent.

J’ai tout de suite aimé le charme suranné de la chambre 30, ses murs dépouillés, ses hauts plafonds et ses deux grandes fenêtres, avec les persiennes vertes et ses moustiquaires.

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Hôtel Palmyra – 30 août 2010 – Baalbek, Liban – Photo Carole DARCHY – Reproduction interdite

 

Sa sobriété, ses hôtes illustres, les dessins de Cocteau, lui confèrent indéniablement de l’élégance, voire un caractère aristocratique.

Le bruit persistant de la route ne m’a pas dérangée. J’en ai fait abstraction.

J’ai adoré le gros ventilateur apporté par le service pour me rafraîchir, alors que je trouvais la température idéale. Il ne servait à rien. Cela tombait bien, puisque l’électricité était sans cesse coupée, comme toujours au Liban.

J’ai apprécié l’attention de ses deux serviteurs. Je n’arrivais pas à les distinguer l’un de l’autre, si ce n’est par les deux mots que prononçait l’un : « Avec plaisir ». Ces deux mots ponctuaient chaque réponse à mes demandes. L’autre serviteur restait silencieux.

Mon thé était apporté à l’heure, sur la terrasse ou dans le salon ; je n’entendais même pas le service arriver, tant il était discret. J’étais dans ce livre, avec comme paysage, le temple de Jupiter et comme ligne d’horizon, le mont Liban.

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Temple de Jupiter – 30 août 2010 – Baalbek, Liban – Photo Carole DARCHY – Reproduction interdite

J’ai aimé les petits déjeuners dans la salle à manger si sombre. Si toutes les tables étaient dressées, seule une à droite près de la fenêtre, proche de la porte du service était prête à m’accueillir.
Ces deux petits dé-jeuners (ces break-fast) ont été mes seuls repas durant tout mon voyage.

Je n’ai rien pu avaler d’autre, tant j’étais hantée par l’odeur de mouton. J’avais vu & senti la chair se décomposer au plus haut du soleil, dans les souks de Damas et d’Alep. Ces minutes dans ces ruelles auront duré une éternité et ces quelques mètres, un marathon. J’avais alors décidé de me nourrir de thé & de sucre.

Je n’ai jamais ressenti la faim ; je suppose que la taille de mon estomac s’est naturellement ajustée au minimum.

J’ai tout de même senti mon ventre se creuser, prenant la forme concave d’une cuillère à soupe & ai vite vu poindre, se dessiner les os de mes hanches ; mes pommettes devenaient également encore plus saillantes, mon visage émacié.

Dans cette aridité, cette errance syrienne, je me sentais aérienne. J’avais surpassé le ramadan et n’entendais plus le muezzin la nuit. J’étais dans un cocon, presqu’en extase.

Mais revenons au Liban, …à la multiplication des pains !

Lors de mon second petit-déjeuner au Palmyra, le nombre de galettes de pain avait plus que doublé -j’avais tout dévoré la veille-, sans avoir pu toucher aux olives, à la confiture d’abricot & à l’assiette de labneh.

Au bout d’un quart d’heure, le service apportait ma seconde théière, avec des galettes supplémentaires. J’ai tout englouti, tant j’étais affamée.

Et c’est vraiment le seul endroit au monde, excepté au Ryokan Tawaraya[1] à Kyoto où j’ai ressenti ce service si étrange, si parfait, si discret. C’est aussi dans cette auberge absolument unique où je m’installais souvent pour une semaine, et où je n’aurai jamais, pas une seule fois, croisé un seul hôte, exactement comme au Palmyra.

La nuit, je déambulais dans les couloirs du Palmyra, ce qui m’a valu de terminer la 1ère nuit sur le canapé du salon, la clenche de la chambre 30 étant restée dans mes mains. J’abandonnais vite la lutte avec cette porte, dans l’obscurité et m’endormais bercée par l’air de la terrasse.

Si je n’avais pas imaginé le Palmyra, la chambre 30, je m’attendais encore moins, à ressentir la présence de ce livre. A mon étonnement, ce livre était partout, dans le silence de ces ruines. C’était comme si la solitude du Palmyra, de ces ruines ne pouvait exister sans lui.

Plongée dans ce livre, j’étais retournée, renversée dans un espace où, les deux ruines et ma personne, étaient indissociables ; Tout cela ne formait qu’un seul bloc.

Site de Baalbek – 30 août 2010 –  Liban – Photo Carole DARCHY – Reproduction interdite

Si le temps avait ralenti en Syrie, il s’est littéralement arrêté au Liban.


La magie du Palmyra provient de la sensation étrange “d’habiter” ce lieu, et cette chambre, la meilleure qui soit, dans cette maison désertée, sans hôte et en ruine, regardant les ruines de Baalbek, et donc d’avoir l’impression de posséder l’hôtel en entier. La retraite, l’ascèse y sont absolues et le repos parfait. Je faisais corps avec l’hôtel, sa vacuité.

En quittant la chambre 30 et le Palmyra en ruines, je mesurais en silence leur fragilité, ne sachant comment les sauver, craignant que l’hôtel et la chambre ne disparaissent, ne soient engloutis après mon départ, redoutant que l’hôtel quitte cette intemporalité, ne soit rénové, ce qui lui ôterait son charme, son délice, son service et ferait disparaître mon désir d’y retourner et de m’y retourner avec un homme.

[1] J’avais découvert le bloc notes de ma femme de chambre Kazu, où elle consignait toutes mes préférences, mes habitudes.

Comme si je devais ne plus à avoir à penser à toutes ces contraintes, Kazu existait à travers moi, organisait le trop plein de ma vie réelle, matérielle, se substituait à moi, pour instaurer cette vacuité, & faciliter le flux de ma pensée, dans mon monde.

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Liban – Revoir Beyrouth et Baalbek

Après avoir rêvé de cette plaine,  de ce territoire,  de cet aller sans retour, j’avais fait refaire mon passeport qui allait expirer mi juin, car je n’avais qu’une seule idée en tête : aller à nouveau au Liban, revoir Beyrouth.

J’avais eu la chance de découvrir ce pays dans des conditions plus que privilégiées. J’avais eu les plus belles introductions, j’en avais côtoyé les êtres les plus fins. Il m’avait fait découvrir ce qu’il y avait de plus beau. J’avais été captivée par l’esthétique de l’aridité.

Ce n’est pas le trouble qui s’instaurait dans le pays qui me ferait reculer. J’avais en effet appris la démission du gouvernement libanais et connaissais les risques d’instabilité voire de chaos possible.  Mais à dire vrai, maintenant que je n’existais plus, ma vie m’importait peu. J’avais besoin de ce pays, il me le fallait.

Je voulais retourner dans la plaine de la Bekaa, refaire cette route depuis Beyrouth, cette route accidentée, encombrée, chaotique. Ce trajet durait une éternité, car compliqué par toute l’histoire du Liban ? Je voulais nager dans cet espace depuis Beyrouth vers l’Est, puis, faire bifurquer le chauffeur à Chtaura, en direction de Baalbek.

Car pour marquer ma liberté, il me fallait retourner là bas avec un homme, retrouver ce lieu qui m’avait ensorcelée, ces ruines qui se faisaient face, cet hôtel magique, cette ruine, ce service si discret et puis, cette chambre XXX, une des cinq chambres d’été au Liban.

Il fallait que cette chambre existe avec un homme. Je m’étais mise en tête de convaincre M.A d’y venir avec moi. Je savais, j’étais sûre que j’aurais alors la solitude du Palmyra pour moi toute seule ; La solitude du Palmyra n’existe que si elle se contredit.

Je savais qu’il le ferait pour moi.

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