52 semaines de déambulation – Pli 1 – Ravello, Italie

Léa et Lina G.  avaient passé une semaine raccourcie, en ce début du mois de juin, sur cette côte Amalfitaine, dans cet hôtel familial, à flanc de falaise, à Conca dei Marini.

Léa, après avoir déjeuné de melon, jambon cru, tomates, mozzarella, près de la piscine avec sa soeur, regagnait sa chambre, épuisée, après avoir grimpé cet escalier, de plus de 500 marches.

Léa, s’accordait tous les jours, au plus haut du soleil, une sieste, alors que Lina lisait ou nageait dans cette piscine d’eau de mer, au bleu piscine tel le bleu du ciel.

Elle redescendait pour l’heure du thé.

*****

Après presque trois heures de profond sommeil, à presque 16H30, Léa se lève enfin, ouvre le coffre fort, pour prendre l’appareil photo de Lina, comme elle lui avait demandé.

A demi-endormie, Léa fouille avec sa main le contenu du coffre. L’appareil photo semblait tout au fond. En l’attrapant, sa main effleure quelque chose, sur la paroi du coffre. Sa main s’engouffre à nouveau par curiosité. Oui, il y a bien quelque chose sur la paroi interne du coffre. Elle tient un bout de carton, qu’elle sort délicatement.

Elle se met à la lumière du jour : Il s’agissait d’une carte de visite. Depuis combien de temps était-elle là ? Elle n’avait pas jauni, n’était pas écornée.

Sur le recto sont imprimés les noms et titres du propriétaire : Arthur Stein, lawyer, Member NJ & DC BARS, Lacey road, Forked river … Et bien, Arthur ne devait pas être dépaysé par les routes de la côte Amalfitaine…

Au verso, était écrite, d’une main féminine, l’adresse email de Sherry.

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Léa avait, à la fois, machinalement pris, la carte de visite et le chemin de la piscine.

En descendant les marches, elle se demandait qui était Arthur, qui était Sherry ?

Etaient-ils mariés ? Avaient-ils laissé une carte à d’anciens hôtes de la chambre 101 ? Ce qui doit être assez courant lorsqu’on reste dans un même lieu de villégiature et qu’on échange avec un autre couple. Ces liens sont si superficiels, que les locataires de la chambre 101, auraient oublié dans le fameux coffre la carte de visite des Stein ?

Pourquoi ne pas l’avoir mise directement à la poubelle ou laissée négligemment sur une table ? Pourquoi l’avoir déposée au coffre ? Avait-elle une si grande valeur ?

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Peut-être que Léa faisait fausse route. Et si Arthur Stein avait été locataire de notre chambre 101 ?

Peut-être qu’Arthur avait été séduit par Sherry. Il lui aurait tendu une carte de visite. Elle aurait inscrit son adresse mail et lui aurait rendu la carte. Arthur l’aurait alors mise au coffre tant cette carte et cette adresse possédaient de la valeur à ses yeux :  la valeur d’un diamant, celle du temps, de l’éternité ?

Léa se disait qu’il fallait vraiment être dérangé, fou, très amoureux, pour faire cela. Cela ne lui paraissait pas plausible.

Pourquoi Arthur aurait-il alors oublié la carte avec l’adresse chérie de Sherry ? L’avait-il apprise par coeur ?

*****

Léa et Lina avaient peu vu d’américains.

Lina s’amusait des vieilles anglaises. Elle en avait noté un nombre impressionnant, habillées au dîner quasiment comme Barbara Cartland et qui parlaient du mariage princier : Such a beautiful couple !

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Arthur et Sherry se sont envolés des pensées de Léa, lorsqu’elle a aperçu le père d’Ariane. La petite française toute blonde avait l’âge de sa filleule. Son père partait visiter Naples au petit matin, pour rentrer en fin d’après midi, à la piscine, laissant Ariane à ses grands parents, pendant la journée.

Cet homme avait les cheveux comme elle les aimait chez un homme. Des cheveux denses, mais souples, bruns, mi longs, coiffés en arrière avec des mèches tombant sur un front droit. Son corps athlétique montrait qu’il pratiquait un sport régulièrement.

En tendant l’appareil photo à Lina, Léa a été éclaboussée par le plongeon de Stanislas. Il attendait que sa fille soit à mi-parcours … pour plonger et gagnait à chaque fois la course : c’était trop injuste. Il nageait comme un Dieu.

Evidemment, il n’aura jamais remarqué Léa.

Mais, comment ne pas le remarquer, lui ? C’était le seul homme qui aurait pu faire rêver Léa. Il semblait absent, ailleurs, mystérieux. Léa n’en n’avait pas touché un seul mot à Lina. Elle était sûre que Lina avait lu ses pensées.

*****

En prenant le thé, Léa demanda à Lina : A ton avis, Sherry est-il un prénom associé à une décade aux Etats-Unis ?  A quoi peut ressembler une américaine qui s’appelle “Sherry” ?

Lina rétorque : Tout dépend où elle habite. C’est quoi ton problème ?

Léa la rassure en lui promettant de lui raconter au dîner, ce soir. Lina et Léa allaient porter les boucles d’oreilles qu’elles s’étaient offertes, la veille.

*****

Comme à son habitude, avant le dîner, Léa allait marcher seule, de manière aléatoire, au coeur des venelles parfumées. Ce soir, elle était passée devant l’atelier des gemmes serpentines et de corail. Devant le miroir, elle avait admiré ses boucles, ces roses de cristal argentines, ciselées comme un verre en cristal, ou un parfum cristallin.

Puis elle rejoignait toujours, ce point fixe, cette obsession, cette idée de regarder le soleil disparaître sur la terrasse de l’infini. Elle ne pouvait s’en empêcher, c’était un point de ralliement, un point de passage, non pas obligé, mais, un passage secret vers le sentier du plaisir.

Elle avançait lentement sur cette terrasse de l’infini du temps, de l’espace, de la pensée.

L’ombre des statues était projetée dans le vide, à l’inverse du matin, où les ombres se promenaient sur la terrasse.

Le silence régnait, la mer était un plateau, le ciel une voûte. Les premières lumières commençaient à scintiller, au loin, le long du golfe de Salerne, vers Paestum et son célèbre plongeur.

Seul le cri des hirondelles rompait le silence.

Léa regardait les visages statufiés, momifiés.

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En ce moment d’extase, en ce moment de pur délire, où tout semblait inversé, où tout semblait possible :

Léa écoutait dans ce silence, cet homme et cette femme échanger des mots d’éternité.

Elle avait alors compris qu’Arthur et Sherry étaient venus ici, avaient été fascinés par la beauté du lieu et avaient voulu plonger ensemble, dans cette méditerranée si bleue, exactement comme le “plongeur de Paestum”.

Arthur et Sherry avaient souhaité se renverser, “se jeter et s’arrêter” dans le vide, comme l’ombre de leurs deux statues, pour réapparaître indéfiniment, au petit matin, sur cette terrasse de l’infini.

Ce couple, statufié, en ce lieu précis, rayonnait de mille feux. Léa pourrait les voir, depuis Google Earth comme un point intangible et intensément lumineux. Ce couple représentait cet accident du temps, et de la géographie, cette entaille, cette falaise qui, comme l’éternel retour, défiait le vide, le remplissait infiniment.

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